Dans un immeuble sans âge, au centre d’une ville silencieuse, il existait une porte que personne n’ouvrait. Elle était banale : bois sombre, peinture écaillée, une poignée terne. Mais quelque chose dans son apparence retenait les pas, forçait les regards à se détourner. Les voisins n’en parlaient pas. Ils passaient devant en accélérant.
Camille vivait dans cet immeuble depuis peu. Nouvelle dans la ville, elle n’avait pas encore appris à ignorer cette porte. Chaque matin, en montant les marches pour rejoindre son appartement, elle s’arrêtait devant elle. Elle tendait l’oreille, écoutait. Rien. Juste un vide parfait, trop parfait.
Un soir, en rentrant tard, Camille trouva un détail différent. La porte était entrouverte. Une fente d’ombre. Elle hésita. Regarder à l’intérieur ? Non. Mais ses pieds semblaient agir seuls. Doucement, elle poussa la porte du bout des doigts. Un long couloir s’étendait devant elle, plus long que ne pouvait contenir l’immeuble. Les murs étaient faits de miroirs opaques, renvoyant une lumière étrange, sans source identifiable.
Elle entra, par curiosité ou par impulsion. Derrière elle, la porte se referma sans bruit. Elle tourna la tête. Il n’y avait plus de poignée. Elle inspira profondément, sentant une odeur indéfinissable, à mi-chemin entre la poussière ancienne et une forêt humide après la pluie.
Le couloir semblait infini, mais Camille marchait, incapable de s’arrêter. À chaque pas, les murs miroirs s’animaient. Des formes y apparaissaient : silhouettes floues, scènes qu’elle ne reconnaissait pas. Mais plus elle avançait, plus ces images lui semblaient familières. Une balançoire sous un arbre. Une pièce encombrée de jouets. Le regard sévère d’une femme.
Elle comprit alors. Les miroirs renvoyaient des souvenirs qu’elle avait oubliés. Des bribes de son enfance, des moments enfouis. Camille s’arrêta devant une image qui la frappa. Une petite fille, elle-même, pleurait dans un coin sombre. Elle tendit la main pour toucher le miroir. Sa paume traversa la surface comme si elle perçait une fine membrane. Une chaleur douce l’envahit, mais aussi une tristesse poignante.
Elle retira sa main. Le couloir changeait. Les murs semblaient se resserrer, les images se succéder plus vite. Des visages inconnus, des lieux qu’elle n’avait jamais visités. Ces souvenirs n’étaient pas les siens.
Une voix douce, presque imperceptible, se fit entendre. Une voix qui ne parlait pas une langue, mais dont le ton portait un message clair : « Continue. Tu n’as pas tout vu. »
Camille obéit, marchant plus vite. À mesure qu’elle avançait, elle avait l’impression de descendre, bien que le sol reste plat. Le couloir se transformait en une spirale douce, et les images devenaient plus vives, plus réelles. Parfois, une main apparaissait de l’autre côté des miroirs, tendue vers elle, mais elle n’osait jamais la saisir.
Finalement, elle arriva devant une grande pièce. Elle n’avait plus la forme d’un couloir. C’était un espace rond, sans plafond visible. Les murs étaient entièrement faits de miroirs, mais ceux-ci étaient brisés, laissant voir au-delà une obscurité insondable. Au centre de la pièce se trouvait une chaise, simple, en bois clair.
Camille s’approcha. Sur la chaise, il y avait un carnet. Dessus, un mot écrit d’une main tremblante : « Écris. »
Elle s’assit, prenant le carnet. En l’ouvrant, elle vit qu’il était déjà rempli. Des pages entières couvraient des détails de sa vie qu’elle n’avait jamais racontés à personne. Ses pensées secrètes, ses regrets, ses espoirs. Chaque mot semblait inscrit directement dans son esprit.
Un dernier mot apparaissait sur la page suivante : « Continue ou sors. »
Elle hésita. Avait-elle le courage d’aller plus loin ? Elle savait que derrière les miroirs, quelque chose l’attendait. Mais quoi ? Et si elle sortait, saurait-elle encore vivre avec ces fragments révélés ?
Elle inspira, ferma les yeux, et écrivit trois mots : « Je veux comprendre. »
Les miroirs explosèrent. Une lumière aveuglante emplit la pièce.